L'alahamadibe - Le nouvel an malagasy

Au mois de mars du calendrier grégorien, on célèbre à Madagascar, le premier jour de l'année traditionnelle malgache ou « Alahamady be ». La nuit qui précède ce jour de l'An correspond à la première pleine lune de l’année. L'éphéméride malgache est conçue suivant le mouvement astral. En effet, la notion de l'espace-temps est liée à la notion de destin chez les malgaches, et c'est cette considération qui régit son univers socioculturel. Basée sur le calendrier lunaire et la saison des récoltes, la date de cette fête varie d'une année à l'autre. En général, l'année qui dure 354 jours se subdivise en 12 mois lunaires de 28 jours, et la semaine malgache commence le jeudi et se termine le mercredi. La fête du Nouvel An dure plusieurs jours avec danses, musiques, hira gasy, divers jeux, lampions, kabary et de la viande de zébu à profusion.

Le Nouvel An malgache est un rituel de pardon, de partage et de vœux de prospérité. C’est une occasion de réconciliation et de salutations entre les générations. Au temps des Rois, l'avènement de la nouvelle année correspondaient au pardon généralisé, qu'il s'agisse de dissensions entre époux ou proches parents, ou dans la communauté, ou encore entre dirigeants et population. Quelques un des symboles marquants de cette fête sont la lumière qui chasse les ténèbres, l’eau qui purifie et réconcilie, le riz et le miel qui amènent vie et prospérité, et la viande que l’on se partage « nofon-kena mitam-pihavanana » avec les ressortissants et descendants d’une même localité, resserrant les liens de parenté. La veille du début de cette période de fête, il était interdit de manger de la viande, en général d'abattre un zébu.

L’Alahamady be est pratiqué depuis le 16ème siècle, initié par le roi Ralambo pour marquer son jour de naissance, et confondu ensuite à tort avec la fête des Rois puisque nombre de ses successeurs étaient nés également pendant la même période de l’année. La reine Ranavalona III changea même la date en novembre pour son anniversaire. Cependant, avec l’implantation  du christianisme, cette fête tomba dans la désuétude sans pour autant disparaître complètement ; certaines familles continuant de la pratiquer. Durant les dernières décennies, des ministres et quelques notables ont essayé de promouvoir le retour officiel de cette fête mais ne sont pas arrivés à l’imposer.

Aujourd’hui, sous l’impulsion de nombreuses associations, cette fête est de nouveau célébrée par un grand nombre, dans diverses régions de Madagascar et il semble avoir une vraie demande de la population à retourner vers les us et coutumes traditionnels. Depuis la colonisation, on nous a imposé toutes les fêtes occidentales ou chrétiennes. Rien de mal à les célébrer. Alors pourquoi ne pas aussi célébrer les nôtres ?

 

Les Malgaches ont-ils eu, au cours de leur histoire un calendrier astronomique, c'est-à-dire, ont-ils basé sur l'apparition d'une constellation à l'Est, le début de l'année ?

 

L'observation du Baudrier (l'Orion en relation avec la culture du riz par les cultivateurs Sakalava et Antaisaka a pour raison d'être d'indiquer le moment des travaux agricoles, mais n'a pas fondé une véritable année astrologique. Cette coutume, qui paraît un phénomène assez isolé à Madagascar, est néanmoins intéressante, car on peut la rapprocher d'une coutume bantoue analogue quoique différente quant à la constellation considérée.

Le calendrier paysan usité sur la côte swahilie relie en effet l'apparition et le coucher des Pléiades aux périodes de culture. Au lever des Pléiades, le 10 novembre, il faut commencer les plantations vuli (des petites pluies); au coucher des Pléiades, cent jours plus tard, le 18 février, il faut opérer les plantations masika (des grandes pluies). Les Pléiades sont d'ailleurs dénommées en swahili kilimia, ce que l'on traduit par « piocheurs, bêcheurs ».

 

Au reste, comme l'a démontré Frazer, l'observation des Pléiades se rencontre au tout début de l'astronomie, même dans les civilisations les plus primitives. Nous pouvons noter que dans les poèmes d'Hésiocle, le calendrier stellaire débute par le lever matinal des Pléiades au 17 mai (pour le VIIIème siècle avant J.-C.). C'est ce lever des Pléiades qui vraisemblablement a servi de base aux petits peuples d'Asie du groupe occidental pour fixer le début de l'année en mai ou juin ; c'est lui qui sert encore pour le même calcul aux Dayaks de Bornéo et aux Maoris de Nouvelle-Zélande. De même, pour les Polynésiens, l'année débutait en juin au lever des Pléiades (Matarii). D'autres années à comput astrologique se rencontrent sur les bords de l'Océan Indien. La plus célèbre fut dans l'antiquité, l'année archaïque égyptienne, basée sur le lever héliaque de Sothis (Sirius), qui 5 000 ans avant notre ère coïncidait avec le début de la bienfaisante inondation amenée par la crue du Nil. Mais les Egyptiens ne conservèrent point ce repère astronomique fixe, et en adoptant un calendrier de 365 jours, le célèbre calendrier vague, vers ± 4 230 ans avant J.-C., ils instaurèrent un comput mathématique qui entraîna la dérive d'un jour tous les quatre ans. Sur la côte somalie, les navigateurs arabes ont une année sidérale basée sur l'apparition de Sahil (Canopus), le 10 août ; on fête ce jour-là le Nirouz, « le nouvel an ». L'année est de 365 jours mais pour conserver la coïncidence du début de l'année avec ce repère astrologique, tous les trois ans il y a un jour supplémentaire à l'étoile El Haquaa (trois étoiles dans la tête d'Orion) le 18 décembre, et deux jours pour les années multiples de quatre, procédé analogue à l'emploi des années bissextiles dans le calendrier grégorien.

 

En Iran, le Nouvel An, le Naurouz, se célèbre au moment du passage du soleil dans le signe du Bélier, soit le 21 mars. C'est une fête particulièrement suivie à Téhéran, où elle a été fort bien décrite par H. Massé.

Par contre, au Pakistan, cette même fête, appelée Nevroz, tomberait début mars. Sur la côte swahilie et aux Comores, le début de l'année traditionnelle se situe actuellement début août, comme sur la côte somalie, mais sans référence à l'étoile Conapus ; il s'agit d'une année de 365 jours, nommée par le jour de la semaine où elle commence « l'année du Vendredi, du Samedi, etc .. »; Elle prend comme l'année vague égyptienne un retard de 23 jours par siècle sur une année sidérale. Sir John Gray la qualifie dans son article «Nairuzi or Siku ya Mwaka» (le Nairuzi ou premier de l'An) de « calendrier nautique et agricole », et Freeman –Grennville dans son histoire de la côte du Tanganyika écrit : Le Siku ya mwaka, correspondant au Nau Roz perse, ou jour du Nouvel An, était jadis tenu pour une grande fête chez les Swahili. Cette année de 365 jours, toujours en usage aux Comores, concurremment avec l'année arabe de 354 jours, a existé à Madagascar où l'on en retrouve quelques traces, notamment en pays Antaimoro, mais tout repère astrologique a depuis longtemps disparu. Le mot Nairuzi lui-même ne semble jamais avoir été usité à Madagascar, bien que I’appellation de l'année d'après le nom du 1er jour de l'An soit attestée depuis Flacourt jusqu’à une date toute récente. Sans doute le Nairuzi pourrait-il être utilement rapproché de la fête analogue du Fandroana, fête du Nouvel An instaurée par Ralambo en pays Merina, et répandue ensuite dans les pays d'obédience merina. Certains traits caractéristiques comme le bain dans l'eau de mer, l'impunité des crimes, le repas cérémonial, la promenade de brandons, se retrouvent dans l'une et 1'autre fête. Mais le Fandroana était lié à une année lunaire de 354 jours, et la fête se déplaçait au milieu des saisons prenant chaque année une avance de 11 jours 114 sur le calendrier solaire, pour au bout d'un cycle de 33 ans retomber à la même date astronomique. Dans les provinces, l'année est par contre restée basée sur un comput solaire, mais sans qu'il soit possible de dire à quelque date exacte et à quel événement astronomique précis correspondait le début de l'année. Nulle part nous n'avons trouvé référence certaine à un phénomène remarquable comme le lever d'une constellation ou d'une étoile de première grandeur.

 

Le plus souvent nous n'avons pu obtenir que des renseignements vagues. Un certain nombre de Malgaches pense que l'année doit débuter au mois (d'origine sanskrite) de volambita, le « mois des destins, s.e. favorables ».

Ainsi, pour certains Bara (Ihosy, Ivohibe) et pour les Betsimisaraka, volambita, étant le premier des destins, correspondrait à alahamady, et à ce titre, serait celui dunouvel an traditionnel.

Volambita, dans la plupart des groupes ethniques considérés est l'époque qui correspond à juillet-août. Cependant, sur les Hauts-Plateaux, où l'année était lunaire, alahamady, le premier des douze mois lunaires, correspondait jadis au mois d'origine sanskrite d'asaramanitra dont la position est variable, mais qui semble avoir correspondu jadis à septembre. Si nous croyons d'autres informateurs, l'année débutait en avril. Chez les Antaimoro, l'année qui est solaire, débute par alahamaly, premier des signes du Zodiaque, en avril. Alahamaly désigne en effet le signe du Bélier, qui correspond à mars-avril. De même Flacourt écrivait « Le premier mois de l'année commence à la nouvelle lune de Mars » et Grandidier a précisé que l'année devait commencer au 21 mars, point équinoxial du printemps de l'hémisphère Nord, comme dans l'Inde. Mais si l'on considère les appellations saisonnières, on s'aperçoit que la période dénommée lohataona (lohatao dans les dialectes) soit le début de l'année, correspond à septembre, ou septembre-octobre. Il faut donc en conclure que l'année saisonnière débute en septembre, ce qui apparaît normal puisque, dans l'hémisphère austral, septembre correspond au début du printemps, à la nouvelle poussée de sève, au renouveau du cycle végétatif.

 

A Madagascar, seuls les deux nuages de Magellan semblent régler l'apparition des saisons. C'est le seul essai timide d'année sidérale que nous ayons trouvé avec les expressions bara : famatara asara et famatara asotry. Les réflexions linguistiques que nous avons livrées au lecteur permettent de penser que c'est en pays Bara, que cette année sidérale, si elle n'y a pas pris naissance, y est tout au moins restée sensible dans la langue ; mais seules les populations de la côte Ouest continuent à observer le rythme saisonnier des deux nuages pour prévoir les travaux des champs.

 

Dans le Sud de Madagascar asara et asotry sont devenus les deux portions du firmament séparés par la voie lactée. Ily a eu là influence sémantique du mot efi-taona désignant la voie lactée ; puisque efitaona signifie litt. « qui partage l'année », il a paru normal que chaque portion du ciel ait été désignée, l'une « hiver », l'autre « été ». C'est ce qu'enseignent encore aujourd'hui les astrologues antaimoro. Le mot aurait remplacé pour les populations de la côte Est (y compris Nord- Est et Sud-Est) le mot primitif de efi-danitra ou fanefi-danitra.

 

Les Malgaches se sont donc basés pour régler leur année sidérale soit sur l'observation de la voie lactée, soit sur l'observation des deux nuages de Magellan, qui eux aussi sont comme des prolongements dans l'hémisphère austral de la voie lactée. A l'origine l'observation des constellations du Zodiaque leur était étrangère. L'apport arabe avec la connaissance de ces constellations est resté très superficiel.

 

Les signes du Zodiaque ont été dénaturés en portions de l'horizon, preuve évidente que les Malgaches n'ont jamais su l'exception de quelques initiés) les reconnaître dans le ciel.

 

Hébert J-C . 1965. La cosmologie malgache (suivie de) L’énumération des points cardinaux et l’importance du Nord-Est , Annales de l'Université de Madagascar, série Lettres et Sciences Humaines, Taloha n° 1, 143-147.